La Francophonie, "bloc" politique à l'influence encore modeste mais croissante, selon sa secrétaire générale
Monde |Author: AFP | October 4, 2024, Friday @ 15:45| 1981 viewsCette photographie prise le 4 octobre 2024 montre une vue générale de la zone d'arrivée du tapis rouge du 19e Sommet de la Francophonie à la « Cité internationale de la langue française » dans le château de Villers-Cotterets, dans le nord-est de la France. (Photo Ludovic MARIN / AFP)
(AFP) - Créée à l'origine pour favoriser la coopération culturelle entre pays partageant la langue française, l'Organisation internationale de la francophonie s'est progressivement muée en un "bloc" politique à l'influence encore "modeste" mais croissante, affirme à l'AFP sa secrétaire générale Louise Mushikiwabo.
QUESTION : Le 19e sommet de l'OIF se tient cette semaine en France. Quelle est la genèse de cette organisation et comment a-t-elle évolué?
REPONSE : "La Francophonie est une organisation née de la volonté des anciennes colonies françaises de se saisir de la langue française et de l'utiliser pour pouvoir créer une collaboration internationale. En mars 1970 est née au Niger ce qui était à l'époque l'agence de coopération culturelle et technique avec quatre hommes d'État: l'ancien président du Sénégal Léopold Sédar-Senghor, le Tunisien Habib Bourguiba, le Nigérien Hamani Diori et le souverain du Cambodge Norodom Sihanouk. A l'origine, c'était une organisation plutôt à caractère culturel et linguistique. Puis elle a évolué. Beaucoup de pays l'ont rejoint.
A partir des années 2000, nous sommes devenus une organisation qui n'a pas abandonné la langue française et la culture, mais qui a ajouté d'autres champs d'action dans le domaine de la coopération et a pris un tournant beaucoup plus politique. Aujourd'hui, nous sommes un peu comme l'Union européenne, les Nations unies. Nous sommes le deuxième bloc le plus important en nombre de membres, après l'ONU".
Q : Quelle forme prend cette contribution au niveau diplomatique ?
R : "L'influence du bloc francophone est réelle, sur le plan mondial. Notre rôle n'est pas de faire avancer les intérêts d'un seul pays (la France, NDLR). Nous travaillons comme bloc, aujourd'hui, de 88 États et gouvernements, des gouvernements régionaux aussi tels que le Québec, la Wallonie, Bruxelles. Nous essayons de trouver un dénominateur commun sur lequel nous engageons des activités qui nous donnent de l'influence (...) En terme d'influence justement, nous restons une organisation modeste, qui (n'est pas en mesure de) résoudre les crises compliquées du monde, mais peut faire avancer les choses. Ce n'est pas la Francophonie qui va régler la question du Liban".
Q : Mais l'OIF peut-elle justement quelque chose face à des crises qui dépassent le seul monde francophone ?
R : "On a l'impression que les grands pays de ce monde, qui ont des capacités, ont perdu le sens de l'importance de la vie humaine. Je pense notamment aux États-Unis. (...) Si l'on veut se débarrasser de Hassan Nasrallah (le chef de la milice pro-iranienne Hezbollah, récemment tué par Israël à Beyrouth, NDLR), doit-on, en même temps, détruire tout un quartier, toute une province ? La Libye, c'est pareil. La crise que vit le Sahel depuis des années est liée à la mauvaise gestion de la crise libyenne. Est-ce que ce n'était pas possible d'aller chercher Mouammar Kadhafi sans qu'autant de victimes voient leur vie comme ça enlevée, changée ? Des années plus tard, des groupes jihadistes se sont formés avec les armes de Libye".
Q : L'OIF vient de décider de la réintégration de la Guinée, gouvernée par une junte depuis 2021. Beaucoup disent que cette décision a été exigée par Paris, qui cherche à se rapprocher de Conakry.
R : "Ce serait une erreur de penser que les décisions viennent de la France. La Francophonie n'est pas la Françafrique et la Francophonie n'est pas la France. Si la Francophonie était aujourd'hui - ça l'a été par le passé - une organisation qui se fait manipuler ou mener par la France, ma place ne serait pas ici. Pour la Guinée, nous avons à l'OIF décidé qu'on ne peut pas exclure un pays, fermer la porte et s'en aller. Parce que, de mon point de vue, nous allons perdre notre contact et notre influence sur les populations. Est-ce que ça veut dire que la Guinée remplit toutes les conditions, coche toutes les cases sur les questions de démocratie, de droits et libertés ? Absolument pas. Mais la Guinée a fait des progrès. Avec son retour, nous avons plus d'interactions, plus de leviers. L'exclusion des Etats n'est pas une solution".
Q : Trois pays du Sahel, le Mali, le Burkina Faso et le Niger restent pourtant suspendus...
R : "J'aimerais bien qu'ils reviennent, les trois pays du Sahel, qui sont sous sanction de l'OIF. La Francophonie est née au Niger. Notre constitution politique est nommée la déclaration de Bamako, au Mali. Ca me met mal à l'aise de ne pas avoir ces pays avec nous (...) Mais il faut qu'il y ait de la volonté de l'autre côté. On ne peut pas travailler avec un partenaire qui n'est pas prêt à travailler avec nous".
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© Agence France-Presse
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