En Haïti, une transition politique sous la menace des gangs

Monde |Author: AFP | March 14, 2024, Thursday @ 11:23| 1401 views

Des policiers haïtiens se déploient à Port-au-Prince, Haïti, le 9 mars 2024. Des coups de feu sporadiques ont retenti à Port-au-Prince le 8 mars, a entendu un correspondant de l'AFP sur place, alors que les habitants cherchaient désespérément à s'abriter dans le contexte de l'explosion récente de la violence des gangs dans la capitale haïtienne. (Photo de Clarens SIFFROY / AFP)

(AFP) - A priori, les gangs qui ravagent Haïti sont exclus de la transition politique à mettre en oeuvre dans ce petit pays pauvre des Caraïbes. Mais du fait de leur puissance de feu, ils risquent de peser de facto sur la nouvelle équation politique, selon des experts.

"Accepteront-ils la nouvelle équation du pouvoir ? Ou tenteront-ils de la saboter de quelque manière que ce soit ? Nous l'ignorons pour l'instant", dit Ivan Briscoe, qui dirige le programme Amérique latine à l'International Crisis Group.

Mais il relève qu'au cours des dernières années, "ces gangs sont devenus très puissants. Ils ont pénétré profondément dans les communautés. Ils ont recruté beaucoup de jeunes, ils ont exploité le désespoir des jeunes" et ils "ne veulent pas disparaître".

Des partis politiques et personnalités d'Haïti s'efforcent mercredi sous les auspices de la Communauté des Caraïbes (Caricom) de s'accorder sur la composition d'autorités de transition après l'annonce lundi de la démission du Premier ministre contesté Ariel Henry, afin de tenter de rétablir un semblant de stabilité dans ce pays miné par les gangs.

Quelque 23 "grands gangs" opèrent dans la capitale Port-au-Prince dont ils contrôlent 80% du territoire. Ils sont regroupés en deux coalitions principales engagées dans des guerres de territoires: la "famille G9" dirigée par Jimmy Chérizier, alias "Barbecue", et le G-Pèp.

"Barbecue", une des figures publiques des violences des derniers jours, est probablement le leader du gang le plus puissant, composé de nombreux anciens policiers comme lui.

Les gangs se sont professionnalisés, disposant d'une puissance de feu supérieure à la police haïtienne pour mener trafics en tous genres ou enlèvements contre rançons.

Dans un premier signe du rôle qu'il entend jouer, "Barbecue" a déclaré lundi peu avant l'annonce du prochain départ du Premier ministre Henry, qu'il ne reconnaîtrait pas de "gouvernement formé par la Caricom ou d'autres organisations".

"Si la communauté internationale continue avec sa stratégie de remettre le pouvoir à un petit groupe de politiciens traditionnels, elle va plonger Haïti dans le chaos", a-t-il averti allant jusqu'à appeler les Haïtiens à manifester dans la rue.

 

 

- La sécurité, prioritaire -

 

 

"A mon avis, ce qui émergerait dans +l'équation+ politique actuelle, ce sont les gangs comme une +force+", avance Gédéon Jean, directeur du Centre d'analyse et de recherche sur les droits de l'homme (CARDH), une ONG haïtienne.

"Il faut faire très attention, car les actions criminelles ne doivent pas être légitimées", ajoute-t-il en citant les viols, massacres et violations de droits humains par les gangs.

Pour Pablo Calderon Martinez, professeur à l'Université Nord-est à Londres, "il est très difficile d'envisager une solution rapide" à Haïti.

"La réalité, (...) c'est qu'une fois que les organisations criminelles ont la capacité de défier les gouvernements, et de commencer vraiment à défier le gouvernement pour le contrôle et presque la légitimité, il est très difficile pour ces derniers de reprendre le contrôle sans que le pays ne sombre dans une violence accrue", explique-t-il.

L'analyste dit craindre "que les gangs soient enhardis par ce qui vient de se passer et je pense que la vie va être encore plus difficile pour le prochain gouvernement".

Un autre expert, Eddy Acevedo, du Wilson Center à Washington, va plus loin et souligne qu'"il existe une réelle possibilité que le chef de gang Barbecue, qui a été sanctionné par les Nations unies (...), prenne le contrôle du Palais national".

"La priorité absolue à l'heure actuelle doit être la sécurité", affirme-t-il alors qu'Haïti attend le déploiement d'une force multinationale de police menée par le Kenya soutenue notamment par les Etats-Unis, la France et le Canada.

Washington s'est dit "pas surpris" que les chefs de gangs rejettent l'accord politique, "car ce sont eux qui prospèrent sur le chaos que nous avons vu s'installer en Haïti au cours des dernières semaines".

"Cela ne fait que renforcer l'urgence du déploiement de cette mission de sécurité en Haïti pour établir la loi et l'ordre sur le terrain, ce que, bien sûr, les membres des gangs redoutent et combattent", a déclaré mardi le porte-parole du département d'Etat, Matthew Miller.

Entretemps, à Port-au-Prince, Fritz Fils Aimé, 66 ans, estime que "rien ne peut se faire maintenant si on ne se coordonne pas avec les gangs armés. Il faut une entente", soutient cet habitant.

lb-gm-sct/eml

© Agence France-Presse


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